Média 123Digit

Le tout numérique, ennemi juré de l’inclusion numérique ?

Carte blanche de l’équipe WeTechCare

Le numérique apporte de nombreux avantages, mais entraîne avec lui également de nombreuses inégalités. Alors que d’une part, les entreprises privées et les institutions publiques font la course à la numérisation à tout va et tout prix, d’autre part, environ quatre personnes sur dix* sont en situation de vulnérabilité numérique – c’est-à-dire à un degré d’éloignement du numérique tel que de nouvelles procédures ou une mise à jour avancée de certains services numériques les laisseraient tôt ou tard sur le carreau.

Pour ces personnes éloignées du numérique, l’asbl WeTechCare plaide  pour un monde numérique à la portée de toutes et tous, pour un environnement numérique respectueux et inclusif, avec des usages accessibles et en gardant l’humain au centre de l’action. 

WeTechCare tient à garder des alternatives non-numériques aux services dématérialisés, afin de garantir un accès libre et non contraignant à tout le monde.

Des avantages du numérique et du potentiel 2.0

La dématérialisation de certains services présente – sur le principe – plus d’avantages que d’inconvénients. Le développement d’applications bancaires pour smartphones par exemple, rend la gestion de ses comptes potentiellement accessible aux 93% des citoyens entre 16 et 74 qui disposent d’un smartphone, contre seulement 68% des citoyens qui disposent d’un ordinateur portable. Cette évolution numérique augmente donc considérablement l’accès à ses comptes (mais pas suffisamment, nous reviendrons dessus) et permet une plus grande autonomie des utilisateurs : gain de temps, centralisation des données, accès aux documents officiels et aux archives, évitement de surcoûts, évitement de déplacements, accès à différents moyens de communication avec des conseillers bancaires, autonomisation dans la gestion administrative et financière, pour ne citer que quelques avantages.

La dématérialisation des administrations publiques présente également des avantages : centralisation des données, accélération des démarches, réduction du nombre d’intermédiaires, moins grande dépendance des horaires d’ouverture, suivi des étapes, automatisation de certaines démarches, etc. D’autres domaines sont également concernés, tels que l’éducation et l’enseignement (accès à l’information), les loisirs, l’emploi, le commerce en ligne, la santé, la mobilité, etc. Pour tous ces domaines, les avantages à l’échelle de la société dépassent les inconvénients, et leur dématérialisation profite donc tant aux fournisseurs de services, qu’à la majorité des citoyennes et citoyens. Pour certains publics marginalisés ou autrement discriminés dans la société et/ou dans certaines communautés, le numérique présente aussi un moyen d’émancipation, voire de libération qui in fine peut transformer le quotidien des publics.

Des inconvénients du numérique et de la promotion des alternatives non-numériques

Il y a plusieurs « mais », quand on parle des gains apportés par la dématérialisation ou la numérisation, le plus important étant que « numérisation » ne doit pas équivaloir à « déshumanisation ». L’humain, tant en ligne qu’hors ligne, doit rester au cœur de la société et de nos activités.

Si nous reprenons l’exemple de l’application bancaire pour smartphone, il est logique que si 93% possède un smartphone, il reste 7% qui n’en possède ou n’utilise pas un : pour toutes ces personnes, une alternative doit être facilement accessible.

Le Baromètre de l’inclusion numérique 2024 démontre par ailleurs que pour les usages des services bancaires en ligne (smartphone et ordinateur confondus), ceux-ci ne sont utilisés en moyenne sur les trois régions que par 78% du groupe cible, et que par conséquent près d’une personne sur cinq (22%) n’y fait pas recours. Pour ces personnes, des alternatives sont également à prévoir. Les taux d’utilisation d’autres services essentiels en ligne sont encore plus faibles et renforcent l’argumentaire de préserver des alternatives non-numériques (taux d’utilisation de 66% pour l’e-commerce, 73% pour l’e-administration et 49% pour l’e-santé).

La numérisation des services essentiels entraîne une suppression massive des alternatives non-numériques : fermeture des guichets (banque, trains, poste), réduction des horaires d’accessibilité, remplacement des employés par des guichets électroniques, coûts supplémentaires aux alternatives papier, obligation de prise de rendez-vous en ligne, support aux citoyens/consommateurs exclusivement en ligne, obligation de création de compte en ligne, etc.

Ajoutons deux obstacles  supplémentaires : les niveaux de compétences et les difficultés d’accès.

Premièrement, la numérisation et l’évolution rapide des appareils et des interfaces numériques accélèrent la perte de compétences et d’autonomie des citoyens, souvent déjà fragilisés ou précarisés. L’accès à l’univers numérique requiert des compétences parfois avancées.

Deuxièmement, certains publics souffrent déjà de certaines formes de vulnérabilité dans la société – vulnérabilités que vient exacerber la dématérialisation massive, ce que nous appelons la « double peine ». Nous pensons à cet égard aux personnes isolées, âgées, dépendantes de revenus d’intégration sociale et/ou avec des difficultés financières, en situation de maladie ou handicap, en situation d’illettrisme, allophones, fragilisées sur le plan socio-culturel, et bien d’autres encore. Par ailleurs, en Belgique aujourd’hui, l’âge, le niveau de diplôme, le niveau de revenu, l’accès à l’emploi et le genre sont toujours des facteurs déterminants pour une plus forte exclusion numérique. En ce sens, l’écart entre les publics favorisés et les publics défavorisés ne cesse de se creuser (qualifié d’effet Matthieu).

Les résultats qui en découlent sont sans appel : les publics éloignés du numérique perdent en autonomie, les proches deviennent les assistants numériques par défaut, les aidants numériques sont sollicités pour des démarches qui dépassent leur domaine de compétences et les métiers du travail social glissent vers le passage obligatoire du numérique. Il y a une réelle hybridation entre les métiers de l’accompagnement social et de l’accompagnement numérique.

Nous pensons que dans certaines situations, le contact humain est nécessaire et  plaidons donc pour des alternatives non-numériques, pour les personnes :

  • Qui ne peuvent pas (encore) se servir des services numérisés ;
  • Qui ne souhaitent pas se servir des services numérisés ;
  • Qui ne peuvent ou ne souhaitent plus servir des services numérisés.

Image : les différents degrés de fracture numérique et les nuances entre « fracture » et « vulnérabilité » numérique. Chiffres: Baromètre Inclusion Numérique 2024, FRB. Visuel: WeTechCare asbl.

À la recherche d’un équilibre sain

Un monde inclusif, où le numérique offre de larges possibilités

Il y a fort à gagner à pouvoir se servir du numérique, dans un monde de plus en plus connecté et prenant les avantages en considération. Pour l’utilisation de tous les services essentiels, un épanouissement personnel à travers l’éducation, la santé, la mobilité, les loisirs et tant d’autres domaines où le numérique peut servir de tremplin, WeTechCare continuera de s’investir pour former les publics éloignés du numérique aux compétences numériques de base, à travers la formation et l’outillage des acteurs de première ligne, le développement de contenus pédagogiques accessibles, inclusifs et de qualité, et la formation des personnes éloignées du numérique. L’association continuera à sensibiliser les acteurs publics et privés pour plus d’inclusion numérique, ce qui inclut la mise à disposition d’alternatives non-numériques.

Le tout numérique ne bénéficie donc pas à une société inclusive, au contraire. Si le numérique offre de nombreuses possibilités, il faut également tenir compte des éventuels freins et inconvénients à l’usage du numérique, ainsi que des choix et des situations personnelles pour ne pas utiliser le numérique. Dans une société moderne, il doit certainement être possible de trouver un équilibre sain entre la numérisation de certains services et les alternatives non-numériques, tout en gardant l’humain au centre de ses préoccupations et des activités. À l’inverse, faire la chasse au numérique nous semble peu fructueux. Plutôt que de freiner ou d’empêcher le changement, essayons – ensemble et constructivement – de le rendre inclusif pour tout le monde, avec tous les défis et toutes les opportunités que cela représente.

——-

* Pour consulter les différentes études sur la situation de la fracture numérique en Belgique, consultez les rapports de référence ci-dessous. Pour les données utilisées dans cet article, nous nous appuyons sur le Baromètre de l’inclusion numérique de la Fondation Roi Baudouin.

WeTechCare Belgique est une asbl créée en 2019 qui œuvre pour plus d’inclusion numérique dans la société. Les activités varient d’accompagnement stratégique et de conseil auprès d’institutions publiques et privées, de formation à l’accompagnement numérique des professionnels et bénévoles de première ligne au contact des citoyens éloignés du numérique, de la formation directe des citoyens aux compétences numériques de base, et du développement d’outils pédagogiques sur 123digit.be.

123Digit est une plateforme d’accompagnement et d’apprentissage sur le numérique à destination des aidants numériques et des citoyens désireux de se former aux compétences numériques de base. Consultez nos contenus pédagogiques gratuitement en vous créant un compte sur www.123digit.be

***

Cet article a été écrit dans le cadre du projet “123Digit”, avec le soutien du SPP Intégration Sociale, Digilab et l’Union européenne.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles similaires

Back to top button